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Andrew Coyne, le journalisme canadien et la grande masse de la population

Howard Law

June 20, 2017


On sait que l’idée d’une politique publique arrive à point nommé lorsqu’elle peut encaisser un coup de frappe du critique le plus brillant sans en être ébranlée.


Tel est le cas de la proposition présentée la semaine dernière par Médias d’info Canada et une large coalition de groupes industriels, dont Unifor, qui concernait une aide gouvernementale de 350 millions de dollars, et de la réplique du chroniqueur Andrew Coyne, publiée dans le National Post.


M. Coyne ne nie pas la réalité : il reconnaît que l’industrie est en train de s’effondrer parce que les recettes publicitaires canadiennes remplissent maintenant les coffres de quelques entreprises de Silicon Valley.


Or, M. Coyne n’est pas inquiet. Laissons faire les choses, dit-il.Selon lui, il ne faut pas subventionner les principaux médias au détriment des jeunes entreprises à fort potentiel de croissance, des « rebelles » des médias comme il les appelle, une variante insolente du titre du site Web d’Ezra Levant qui pratique la théorie du complot et du salissage.


Le principal argument de M. Coyne est le suivant : le journalisme n’est pas essentiel à la démocratie. Ignorons les masses si elles ne veulent pas débourser un sou pour le journalisme. Améliorons plutôt la qualité du journalisme pour inciter les accros à l’actualité à payer pour obtenir leur dose.


Le journalisme n’est pas essentiel à la démocratie? Si vous vous moquez d’informer les gens ordinaires de ce que trament les politiciens, vous êtes peut-être d’accord. Cela n’aurait probablement pas dérangé Stephen Harper. Donald Trump sauterait de joie.


M. Coyne devrait tenir compte qu’entre les deux extrêmes du spectre – les fanatiques de politique qui devraient payer davantage pour avoir accès à l’information et les gens qui ne se soucient guère de la vie citoyenne – il y a la grande masse de Canadiens qui s’intéressent surtout à la politique en période électorale et qui sont probablement satisfaits des nouvelles gratuites sur Internet, même si elles sont filtrées par Facebook, passent à côté d’un grand nombre de faits d’actualité ou sont carrément erronées.


Ces Canadiens sont justement la raison pour laquelle nous affirmons que le journalisme est essentiel à la démocratie et qu’il ne doit pas disparaître.


Voici d’autres aspects à prendre en considération :

  •  Compenser la baisse des recettes publicitaires par l’augmentation des abonnements est une tâche colossale. Sans parler de rivaliser avec les nouvelles gratuites sur Internet (peu importe leur portée ou profondeur). Historiquement, les recettes publicitaires permettaient de payer 80 % des coûts des nouvelles. Votre abonnement à un journal vous coûte peut-être déjà 30 $ par mois. Payeriez-vous 100 $?

  • Les 350 millions de dollars que « demande » la coalition du milieu ne transformeraient pas les médias d’information en indigents.

Certains médias grand public feraient long feu malgré l’aide gouvernementale. Les 27 quotidiens de Postmedia comptent parmi les journaux les plus susceptibles de connaître ce sort.Espérons que ces médias seront remplacés dans le monde numérique par de jeunes entreprises qui font du journalisme de qualité. Il semble toutefois que seules les publications spécialisées et d’opinions ont des chances.

Les 350 millions de dollars seraient nécessairement répartis en très petites parts entre les médias existants. Selon la proposition de la coalition, 35 % des coûts rédactionnels, qui représentant 15 % des coûts totaux, pourraient être remboursés par le gouvernement. Autrement dit, il s’agit d’une subvention correspondant à 5 % des coûts actuels. Dans une conjoncture où les recettes publicitaires chutent de 10 % par année, l’aide gouvernementale n’est qu’une partie de la solution.


Je dois avouer que j’ai un faible pour les conservateurs brillants comme M. Coyne. Il s’en tient au fond et évite les attaques mesquines. Mais à l’occasion, il dit des choses plutôt loufoques.


Ce qui l’agace vraiment au sujet de la proposition, c’est que l’aide gouvernementale donne aux éditeurs de journaux un parti pris pour l’intervention de l’État. Dans cette dystopie, la presse se montre trop conciliante quant à la réglementation de l’économie par l’État, ou trop à gauche, et devient un « client » de l’État, « comme la SRC ».


Pourtant, il faut de l’imagination pour y croire. Il serait inconcevable que le propriétaire milliardaire du Globe and Mailadoucisse sa position sur le socialisme! Ou que Postmedia approuve une ingérence accrue de l’État dans le libre marché.Ou encore que leurs pages financières fassent passer le Toronto Star pour un partisan du Parti conservateur?

M. Coyne, cela ne fonctionne pas ainsi. Ayez confiance en la foi indéfectible des capitalistes.


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